samedi 22 décembre 2012

#15

Journal post-apocalyptique : 1er jour



Noir, je suis là. La preuve? Je rêve toujours. Ou j'hallucine... Je ne peux pas me rappeler exactement mon rêve. Ou même si j'avais rêvé vraiment. Mais tout de même! Cet oubli est la première preuve ontologique que je suis Là!
J'arrive à entendre un bruit de loin. Des voix peut-être ? Ça me dérange en tout cas ; ou me ressuscite. Ça bouscule l'état de néant promis avec la fin du monde ... Je n'avais pas idée de la douleur que peut susciter le retour à la vie après la mort. J'ouvre les yeux. Le lieu est obscur, mais j'ai la sensation que (on peut parfois « ressentir » les dimensions de l'espace qui nous entoure sans le percevoir distinctement) ça ressemble à la chambre où je dormais durant les derniers jours sur terre. Je me lève. Mon corps est las. Mort-vivant. Je me meus avec difficulté vers le cadre de lumière douce et lointaine qui trace dans le noir le spectre d'une porte. Je tire avec toute ma faiblesse la poignée. La porte s'ouvre.
Et pas de clarté divine qui m'éblouit, comme je l'avais fantasmé dans ma vie antérieure. Juste une ambiance argentée évoquant un jour d'hiver. Je vois deux enfants qui jouent. C'étaient leurs cris qui m'avaient redonner (dans la douleur) cette quasi-existence. En les dévisageant, je reconnais les enfants de mon cousin. Peut-être une projection. Ou ce sont peut-être des fantômes. J'avance vers une fenêtre en face. Je regarde en collant mon nez contre le verre glacial. Nuages. Pluie (sûrement radioactive). Une étendue presque vide. Des ruines. Probablement des restes d'immeubles ou maisons. Des arbres chauves et blonds se dressent difficilement ici et là.
Ce moment je le nomme Le Réveil désormais.  



mercredi 7 novembre 2012

#14




Si je ne me suis pas encore donné la mort, c'est que je n'arrive toujours pas à écrire de testament. 
Et ce pas qui me sépare du témoignage dure toute la vie. C'est toute la vie.
Enfin, et par l'instance de ce pas, la vie n'est jamais toute. Elle est inachevée, infinie, écartelée. Cependant, et par moments, brisée, rompue. Circoncise. Par le fait d'autres et du hasard, ces ruptures et brisures seraient l'espoir d'un don de la vue. De la possibilité de témoigner, d'être présent au monde, en tant que témoin de... quoi au juste ? On témoigne de qui ou de quoi quand on témoigne ? Peut-être que je ne peux témoigner que du suspens de cette question. Du pas, toujours pas et pas encore, qui sous-tend ma vie. Je ne peux témoigner que du moment d’ellipse, qui écartèle et libère à la fois. Tension et légèreté. Travail du négatif et affirmation de la vie. Tel est, peut-être, le sens de l'attestation islamique qui fonde le moment de naissance ou de conversion. La ruse transcendantale qui ouvre la possibilité d'un horizon, d'un sens, d'une finitude. Mais qui, elle, et parce qu'elle fonde justement la possibilité d'une destinée, reste dans une indécision infinie : « J'atteste qu'il n'y a de dieu que le Dieu », qu'il n'y a de dieu (présent, là devant moi, objet de témoignage) que le Dieu (Allah, le seul qui est, mais qui est inaccessible à ma vue. Qui est là en tant qu'absence, que j'invoque à partir de la négation des autres dieux). Et peut-être que c'est pour cela qu'il est le Vivant. Dans son suspens ontologique, le Dieu se temporise et dure. Il diffère son jugement pour se sauver, encore pour un temps. Pour le temps. Mais le temps qui se donne à Dieu est déjà marqué par le seaux de la finitude. De la promesse qui ne laisse aucune certitude sans la contaminer, et la déstabiliser.  
Seule attestation possible : avoir vu qu'il n'y a rien à voir, sauf le pas vu. 

« Nous somme un monstre privé de sens
Nous sommes hors douleur
Et nous avons perdu la langue à l'étranger »
Hölderlin, Mnemosyne 

mardi 24 janvier 2012

#13

Ah Dieu... cette mère qui dit non.
Cette phrase m'a réveillé ce matin. Comme une alarme qui sonne inlassablement, indifférente à la douleur qu'elle fait subir, elle n'a cessé de répéter son grincement dans ma tête. Lourde de toute son autorité empruntée à l'autre langue. Tranchante ; lame d'un artisan circonciseur.
- Qui prête son pouvoir à l'autre, Dieu ou la mère ? Qui des deux crédite l'autre et y croit ? Qui représente l'autre ? Qui des deux est la métaphore de la métaphore ? Et si la possibilité et le pouvoir de leur être ne viennent que de cette indécision ?
- La mère, origine et fin, arché et telos, tient ses rejetons en dette. Des fils qui se tressent et s'entre-bandent tout autour de cet interdit. Autour du non. Pas étonnant qu'Ibn Khaldoun rattache cette force virile et communautaire qu'il appelle 'Açabiyyah (bandage) au désert et à sa force négatrice. La force communiante entoure ce néant et le fait ériger en une nuée de sable et de mots. Tel un poème en colonne accroché aux parois de la matrice divine : poésie virile dit-on.
- L'Arabe, en tant que langue du désert, garantit cet attachement à la mère/non de dieu par un ombilic de métaphores. Un idiome désertique liant sacrifice et esthétique de la cruauté.
- Oum, Oumma, Imam : mère, communauté, guide. L'origine et la fin en une maternité qui donne l'être (en tant que manifestation onto-theo-politique) à ces nomades errants. Leur existence tient à la bande qu'ils doivent toujours tendre afin d'écouter le son du néant. Pas de repos ni de répit, mais apocalypse à chaque instant.
- Comment déconstruire la mère ? Une mère qui n'est pas établie ? Qui n'est pas présente ? Une mère voilée derrière ses bandes de sexes circoncis, et de prières psalmodiées. Derrière son non générateur de désir ?
- « Maman va arriver.. » dit la chanson « … avec une valise remplie de cadeaux ». Voilà la promesse faite aux enfants pour les faire dormir. Un discours qui montre bien le don fondamental de la mère : le sommeil.
- (Qu'en est-il de ma mère ? Dans quelle langue l'appellerai-je, esquivant castration et culpabilité ? Comment laisser traverser en moi (tout en me faisant/défaisant) son non implacable ? Est-elle toujours la même qui répond à mes prières quand je change de langue ? Quel ton prend son non dans une autre langue ? Alors, Dieu... Qu'en est-il de ce dédoublement ?

mercredi 20 avril 2011

#12

Après tant de rues cousues et recousues. Après tant de baisers subtilisés à de belles-filles. Après tant de clichés ravis aux coins ombrés… Voilà que l’insomnie arrive !
Et te voilà encore allongé, yeux écarquillés, oreilles aux aguets, sens tendus, fixant du regard le lustre amputé d’un bras. Le ronflement continu de l’ordinateur en veille te tient compagnie. Tu ressens le poids du lustre suspendu. Comme s’il était attaché autour de ton cou. Le bras manquant envahit ton esprit. Tu imagines des scènes de guerres impitoyablement cruelles. Des cadavres démembrés, éparpillés, déchiquetés. Des canons tuberculeux qui ne cessent de cracher le feu. Des tanks comme des larves de sauterelles, rasant la terre à leur passage… et puis non ! Le sommeil ne vient pas. Les scènes de guerre n’aident pas… Tu vois le mur. Deux taches de lumière se distinguent. Lumière jaunâtre qui se faufile des deux trous du rideau. Tu te rends compte qu’elles ressemblent à des yeux. Des yeux de femme. Des yeux aux pupilles dilatées. C’est une fille qui te regarde alors que tu la pénètres. Elle a dix neuf ans. Plutôt dix sept. Sa bouche se serre comme son vagin autour de ton sexe. Elle te fixe du regard. Tu n’oses rien dire. Les poils de son aine te picotent. Tu pousses. Tu essaies de respirer lentement… Non ! Non ! Ne pense pas à cela. Ça t’excite et le sommeil est désormais loin de tes paupières. Tu as l’envie d’allumer la lumière et de lire un peu. Mais quoi ? Tu penses au livre que tu lisais la veille. C’était de Heidegger ? « De l’essence de la vérité » ? A propos ! Alèthéia, n’est-ce pas comme l’insomnie ? A-lèthéia : dé-couvrement : in-somnie… La vérité est l’épreuve d’un sommeil suspendu…Dis-donc, c’est pesant ! Non ! Ce n’est pas pesant : le sommeil est pesant. Mais l’insomnie est en quelque sorte la suspension de la pesanteur. Une sorte d’apesanteur dans le temps et dans l’espace. Un flottement dans le vide. Et contrairement à ce que tu peux penser. Ce n’est pas agréable. C’est une légèreté angoissante. Qui t’oblige à t’ouvrir au monde qui se retire. Tu cherches donc le poids. Une lourdeur. Une attraction. Tu cherches dans ton imaginaire. Qu’est-ce qui t’attire ? Pourquoi la terre exerce une attraction ?
« - Parce qu’elle ne se pose pas de questions comme toi »
Comment ne pas poser de questions ? Alors il faut arrêter de désirer ? Mais si on arrête de désirer le sommeil …
« - Tu te poses toujours des question… »
Oui ! Mais comment ne pas poser de questions ? (tu sais c’est un cercle vicieux)
Un cercle !? Un mouvement circulaire. Presque machinal. Qui se répète en s’auto-renvoyant un mouvement perpétuel. Des pignons qui tournent en se transmettant des forces… pour faire tourner une fois un pignon P2 d’un diamètre double du pignon P1, il faut que ce dernier tourne deux fois. P2 en un tour fera tourner P1 deux fois… Tu peux joindre à P1 un bras de fer sur une raille qui va et vient selon les mouvements rotatifs de P1. L’autre extrémité du bras peut-être attachée à une scie…
« - Tes paupières s’alourdissent. »
La scie peut trancher le bois... La scie coupe le bois en morceaux de même taille
« - Il fait noir. Tu n’entends plus le ventilateur »
Les pignons tournent toujours…toujours…Alèthéia…La scie va et vient…Elle coupe…Les yeux… te regardent… Le piston qui fait marcher la machine…
« - Tu dors »
Le bras de fer… pénètre… le lustre… larves… rasent le sexe…
« - Tu dors »

vendredi 25 février 2011

#11

Retourné du ravissement onirique, je suis toujours perdu entre pensées et mots, chiens enragés. Entre Oum Kalthoum rajeunie qui chante dans un vidéoclip ; la voiture où je m’entasse avec mes frères pour m’embarquer dans une nouvelle sortie à vitesse astronomique ; J qui s’allonge devant moi et que je m’apprête à sodomiser tout en parlant de goûts musicaux. M’arrive à la vue de cette dernière scène, la figure de la lettre o. Un anneau qui entoure mon sexe et lui promet une nouvelle peau. Je pense à Ibn Arabi copulant avec les lettres, cherchant le Latin pour trouver l’anus. Heidegger pouvait-il penser au quadriparti sans la lettre o ? Le plaisir que j’ai à sodomiser est typiquement francophone. (Je me demande d’ailleurs si je pourrais le faire en Arabe.) Ainsi mon rapport à la littérature (jouissance des litières et des ratures) se constitue à partir de mon rapport au Français, à travers un coït anal, de derrière.
La langue arabe nous offre le mot Adab. Des autorités ont décidé de lui donner le statut de littérature. Chose qui défigure les deux mondes, et les prive de toutes leurs richesses. Adab est un terme, de manière constitutive et structurelle, « moral » ; lié à l’idée du bien, à l’agir-comme-il-faut. Une finesse de langue, politesse, pédagogie.
Cependant, dans la danse des significations et leur orgie qui caractérisent les racines des termes de cette langue, se trouve lié à Adab un sens intéressant : Ma’doubah. Banquet. Repas hospitalier. L'écriture en langue arabe serait-elle imprégnée d’abord par ce dernier sens ? Ma boulimie l’est en tout cas.

jeudi 24 février 2011

#10

Les visages se sculptent. Je reviens aux escaliers de l’immeuble. Je m’asseyais souvent sur la marche à côté du carreau au verre cassé. Et je laissais le courant d’air me tenir tête, en jetant un regard sur le terrain vert. Terrain dévasté qui me revient discrètement à chaque fois que je regarde Stalker de Tarkovski. Derrière l’immeuble c’était « la zone ». Lieu mythique et interdit (à l’enfant). « C’est sale ! » disait-on. L’endroit est infesté de déchets. Il y a en effet les quatre décharges où aboutissent les conduits de poubelles de tous les appartements. Et tous les restes de vie des habitants, tous leurs sacrifices, toutes leurs histoires étaient entassées là-bas. La fin de journée arrivait l’éboueur vénéré et emporte le péché du monde à la benne tasseuse.
Je pouvais rester des heures à braver l’air et son odeur, juste pour regarder ce vert irrésistible. L’odeur portait elle aussi des secrets. Je pouvais distinguer les restes du thé de la veille. Mais je n’arrivais certainement pas à la maitrise du père T (l’éboueur). C’était un fin dialecticien-matérialiste. Il avait classé les ménages de l’immeuble en catégories selon leurs restes. Les bourgeois ; les « campagnards » ; les nouveaux riches ; les « pauvres fonctionnaires » ; …etc. Et faisait ses requêtes de charité le jour de l’Aïd selon sa classification. La « zone » était son territoire. Il nous chassait à chaque fois que nous essayions de nous approcher.
A propos, c’est en essayant d’aller à la « zone » que j’ai noué mes premières amitiés avec les voisins. L’un des premiers « nous » dans lequel je me suis fondu, avec plus ou moins de plaisir. Une certaine jouissance en tout cas. Un « nous » pour l’aventure. Pour aller du côté des déchets, pour chercher les restes de l’autre et constituer un moi.

L’écriture est cela. Peut-être.

jeudi 17 février 2011

#9



Le « cabanon » (ou « cabano » prononcé dans un idiome familial) était notre maison de vacances. Il se situait dans une sorte de camping colonisé, décolonisé, recolonisé. Stigmatisé par toutes les appropriations dans ses noms « propres » : roi juif, ou pin maritime. Le lieu donnait forme à tous ces désirs d’établissement qui n’arrivent qu’à être de passage.
Le lieu qui abrite mon enfance désormais. L’abrite en tant qu’ère toujours à venir à travers les souvenirs et les mots. Ceux-là qui portent déchirement entre plusieurs langues et idiomes. Et qui sont pleins de l’histoire d’une colonie (elle ne se réduit plus à une colonie de vacances, mais laisse entendre le bruissement de paroles perdues).
La forêt de pin tapissée d’aiguilles jumelées et de pommes en grenades nous appelait tous les jours à marcher sur le chemin qui la pénètre, et s’introduire à sa majesté. J’accompagnais souvent ma grand-mère dans sa promenade quotidienne, en fin de journée, quand le climat devient plus clément. « Qu’a-t-elle la forêt à se refrogner ? En elle, il y a une singe nue ». Cet air qu’elle fredonnait clandestinement en le parsemant de ses sourires tantôt gênés tantôt joyeux et cyniques me faisait rêver. Hymne d’une liberté future où la singe aurait le luxe de voler et d’exhiber son cul aux vents marins au dessus et malgré les pins centenaires.
Retournés au « cabano », les bougies s’allumaient et entamaient leur spectacle de lumière et de flammes dansantes. C’était là où j’avais appris à habiter et être dans le monde. C’est là où j’apprends toujours qu’une terre natale ne peut être qu’un lieu de passage. Maison de vacances, là où les vacances ne signifient rien d’autre qu’une manière d’habiter sans persévérance. Là où la colonie obéit à la souveraineté du temps, s’installe et s’en va au moment venu.


p.s. : Pris par une nostalgie tout de même. Je suis allé chercher sur internet quelques vieilles images de ce lieu. J’ai trouvé une vidéo venue d’un autre temps, d’un autre passé, d’une autre mémoire. Toutefois, elle m’appelait à se l’approprier. Ou plutôt elle s’est appropriée de moi. Je lui fais place.
http://www.youtube.com/watch?v=k0Tiv7wRFcY